LUCIEN PELEN
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Lieu d’exposition : 9, boulevard Théophile Roussel (à
l’intérieur de la maison de la région)
Œuvres présentées :
Le
Griffon, 2008
Allègre #2, 2008
Ce
sont des paysages.
La
ville est parfois lointaine comme un horizon à
rejoindre, ou dont on s’éloigne pour d’obscures raisons.
Parfois absente comme si la nature était seule à pouvoir
révéler qu’elle était un double point de butée :
impossible de s’en passer, impossible de l’habiter. Un
corps seul est là : décalé par l’étrangeté d’une
situation, nu ou vêtu, accompagné d’objets incongrus, un
homme
de dos, sans visage, sans identité.
Les
photographies de Lucien Pelen sont éloquentes par leur
beauté, étranges par leur narration, indirectes par leur
signifiance. Elles ont une puissance
d’indécidabilité : est-ce le paysage qui habite
l’homme ou bien l’homme qui habite le paysage ?
Depuis
la Renaissance, la représentation occidentale en
maîtrisant la nature, en façonnant l’espace et sa
profondeur a mis le sujet en avant. L’histoire
se tenait dans ses premiers plans. Un coup d’œil trop
rapide sur les images de Lucien Pelen nous ferait perdre
l’esprit d’y voir avec certitude cette forme classique,
car le sujet qui s’incarne se tient en arrière.
Il y a comme un retrait du sujet, toujours lointain. Se
rapprocher des images ne sert à rien ; leur beauté
est contenue dans cet éloignement.
Qu’en
est-il alors de ces paysages éblouissants d’une région
qui semble proche et lointaine, à la fois ancienne et
toute présente à l’instantané photographique ?
C’est la campagne, mais laquelle ? Une proche
campagne comme celle qui a peuplé l’enfance et dont le
souvenir n’est plus que trace de l’affect sublime des
lumières des jours tombants, des lumières artificielles
de la nuit, des brouillards effaçant les contours pour
laisser les présences inconnues apparaître. Une campagne
lointaine où l’homme cherche à retrouver à travers ses
nerfs, ses muscles et parfois sa nudité le contact
direct de cette zone du souvenir de la nature qui reflue
et s’arrache dans l’action d’un saut, d’une chute à
venir, d’une suspension dangereuse.
L’homme
porte une porte. Double mouvement entre la porte
qui articule les dedans aux dehors et un corps qui
supporte sa propre charge appuyée par celle d’un lieu
qui a perdu son habitation. Porter une porte c’est
porter un lieu en puissance. Mais porter la porte
devient porter-en-soi les dedans et les dehors de l’âme
et devenir soi-même l’articulation de l’ouvert et du
fermé. Comme si durant l’événement se croisent la maison
lointaine et dépeuplée, l’âme habitée et indécise afin
d’écrire l’histoire de l’homme seul au milieu du monde.
On
peut penser alors que les photographies de Lucien Pelen
sont une fermeture de la narration malgré une
iconographie reconnaissable ici et là, une fermeture
autre de la narration car le sujet se dérobe toujours
aux premiers plans s’enfonçant dans une recherche
précise d’actes impensables. Une ouverture de l’image
sur sa propre chute, le corps n’étant que l’indice du
déséquilibre, une ouverture autre de l’image sur son
propre espace dont le corps devient le recueil et
l’écueil.
La
chute possible devient l’évidence du paysage : sa
nature infiniment perdue n’a de consistance qu’à saisir,
dans un mouvement impossible, un corps qui écrit sa
possibilité d’existence en échappant à la logique du
commun et de la communion. Ce paysage est celui d’un
déracinement.
L’homme
n’est
plus dans le paysage, c’est le paysage qui est passé en
lui. Il est loin maintenant. Le temps du déséquilibre
est alors celui par lequel l’homme rejailli dans
l’espace. Il est imprévisible à présent. Un
corps
d’homme capable de libérer une histoire qui n’aurait pas
été encore écrite. Un illuminé ! L’histoire d’un
homme qui n’a pas d’histoire et dont les actes les plus
improbables, les plus curieux deviennent la marque de
son existence. Un homme libéré de ce que son corps avait
enfoui.
Corinne
Rondeau in Lucien
Pelen ou le paysage perdu dans l'homme, Papiers
libres hors série 2006
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